Cet article fait partie d’une série écrits dans le cadre de mon mémoire de fin d’étude sur la déconnexion volontaire aux TIC. Les thématiques abordées ici seront développées dans les billets à venir. N’hésitez pas à me partager vos impressions et à me faire part de votre avis sur cette thématique.

A travers ces cas d’étude, la déconnexion volontaire aux TIC envahit l’espace médiatique. Elle s’intègre dans les conversations et se partage dans nos fils d’actualités, à base de vidéos virales (I forgot my phone[1], suivi il y a peu de Look Up[2]) mais qu’en est-il dans les faits ?

Pour y répondre, l’étude DEVOTIC[3] a cherché à comprendre les comportements des usagers intensifs des TIC et ainsi déterminer notre rapport face à la déconnexion volontaire. Conduite depuis octobre 2010 par Francis Jauréguiberry et étendue sur une durée de 4 ans, cette étude a permis de s’attarder, à travers la mise en place d’études quantitatives et qualitatives, sur l’attrait pour la déconnexion volontaire. Les populations étudiées ont été les cadres, les voyageurs ainsi que les universitaires.

Un phénomène marginal

La première conclusion issue de cette étude met en avant que ces phénomènes de déconnexion restent extrêmement marginaux. Si la déconnexion volontaire envahit l’espace médiatique, bien peu franchissent le cap. Cependant, si le sujet envahit l’espace public, il démontre par cette occasion que les TIC impliquent de plus en plus une pression se manifestant dans divers environnements.

Pour ce qui est des cadres, elles révèlent une forme de pression professionnelle. Ainsi, selon cette étude, 83% des interrogés estiment que les TIC accroissent le volume d’information qu’ils doivent traiter et 86% établissent une relation de cause à effet entre communication électronique et rapidité de traitement. De plus, 78% pensent que les TIC engendrent un nombre croissant de tâches à traiter en dehors des horaires ou du lieu de travail. Leur déconnexion se révèle cependant très rare. Ces raisons sont motivées soit par une impossibilité de déconnexion (nécessité de rester disponible pour leur entreprise), soit parce que les TIC leur font gagner du temps et que s’en priver les couperaient d’opportunités.

Chez les voyageurs, la recherche de déconnexion se traduit plus comme l’idéal de renouer avec le voyage moderne : l’idée de se couper de son travail, de son statut social, de ses proches, de s’ouvrir à une autre culture et de permettre l’introspection. La coupure est nécessaire pour se sentir en voyage, mais est soumise à d’autres phénomènes de pression et notamment de pression sociale. En effet, s’ils recherchent la déconnexion, les voyageurs ne se séparent pas pour autant de leur équipement, ne serait-ce que pour un côté pratique (chercher un horaire, un plan…) ou utilitaire (au cas où il arriverait un problème…). Estimant le voyageur disponible, ce sont les proches qui chercheront à empêcher cette déconnexion, cherchant à avoir de lui des nouvelles d’où qu’il soit. Le phénomène est donc relativement plus répandu chez les voyageurs que chez d’autres types d’individus, mais est vecteur d’autres formes de tensions.

Les universitaires sont quant à eux soumis à une pression d’ordre informationnelle. Tout comme les cadres, les TIC sont le vecteur de masses d’information en constante augmentation. L’étude DEVOTIC s’est attardée dans ce cadre sur l’usage de l’e-mail dans ce cadre universitaire et a permis de déceler quelques formes de déconnexion. Ainsi, si la déconnexion totale n’y est pas envisagée, il se décrit une adaptation du flux de traitement, laissant également apparaître des journées ou des plages horaires « sans e-mail ».

Enfin, chez les étudiants, ces mécanismes de déconnexion révèlent une pratique plus liée à la confidentialité. La pression est plus liée à la protection des données personnelles et notamment de la localisation liée à l’usage des smartphones. Il s’agit ici d’une pression technique. Elle montre également un écart entre l’évaluation du risque d’atteinte à la vie privé, lié à la géolocalisation, et la déconnexion de ces services. Ainsi, alors que 73% des étudiants estiment que ces fonctions présentent un risque, ils ne sont que 57% à savoir désactiver ces fonctions. De plus, ils ne sont que 41% à pouvoir désactiver les données cellulaires afin de se déconnecter totalement de ces services.

Un mécanisme de préservation et d’appréhension de la technologie

L’étude DEVOTIC démontre que de manière générale, les phénomènes de déconnexion volontaires ne rentrent que rarement dans des pratiques extrêmes de déconnexion totale. Elles cherchent cependant à éviter de rentrer dans des cas de surcharge cognitive trop importante, amenant aux phénomènes de burnout. En cela, il s’agit de mécanisme de préservation, l’objectif n’étant pas de se couper de ces flux d’information mais de parvenir à une maîtrise.

Cette maîtrise se traduit chez les cadres par le développement de tactiques de déconnexion épisodiques, leur permettant d’ajuster leurs usages le temps d’une réunion, d’une soirée ou d’une activité privée. Cette « déconnexion » se traduit par la suspension des TIC en suspendant les messages provenant de ces appareils, passant ceux-ci sous répondeur ou en silencieux. L’idée n’est pas ici de se couper totalement mais d’aménager une connexion permanente, de manière à rendre le flux d’information plus maîtrisé et moins invasif. Cet usage révèle ainsi un usage averti des TIC et une maîtrise de leur impact.

Chez les voyageurs se transmet l’idée de « pacte de déconnexion ». Le voyageur cherchera ainsi à déterminer avec ses proches les moments et habitudes de prises de contact de manière à préserver du mieux possible l’expérience du voyage tout en gardant l’aspect « rassurant » de la communication interpersonnelle.

Les universitaires chercheront quant à eux à plus se focaliser sur leur travail en évitant de cumuler les e-mails  dans leurs boîte de réception. Pour  répondre  au flux constant d’e-mails à traiter, l’organisation observée consiste à  traiter les e-mails au fil de l’eau, de manière à limiter progressivement cette pression.

Enfin, chez les étudiants, la déconnexion est principalement interprétée comme un mécanisme de maîtrise technique des outils. Cette tendance révèle une certaine prise de conscience de l’aménagement d’usages privés et d’usages connectés. Ils démontrent cependant la nécessité d’assimiler les usages et paramétrages techniques liés aux TIC pour mieux appréhender ses usages et sa confiance dans les comportements connectés.

Une accélération des usages échappant aux évolutions sociales et organisationnelles

Ainsi, si le sujet de la déconnexion volontaire se répand dans l’opinion publique, il révèle plus d’une réappropriation des usages du numérique qu’un rejet total des technologies de l’information. La popularisation du sujet ne signifie pas forcément l’essor d’une technophobie primaire mais plus la volonté de contrôle de ces outils sur notre quotidien. Car au-delà de notre comportement, les technologies transforment notre société et son organisation. Une transformation qui s’accélère sans pouvoir être prise en charge assez rapidement d’un point de vue organisationnel et social.

Ainsi, la considération de cette pression informationnelle reste cependant assez rarement prise en charge en milieu professionnel. Ainsi, sur l’ensemble des cadres étudiés, 72% travaillent dans des entreprises n’ayant pas de politique de régulation quant à l’usage des TIC. Par corrélation, 29% des cadres ont le sentiment de ne pas pouvoir se déconnecter en vacances, 35% en week-end et 41% en soirée.

De plus, la déconnexion volontaire peut être ici appréhendée comme la volonté de reprendre la main sur son temps de disponibilité, dans un environnement où les technologies de l’information sont de plus en plus intrusives et conduisent à une accélération de notre société (délais d’attente de plus en plus réduits qui passent de la sphère professionnelle à la sphère privée). Lorsque nous nous déconnectons, nous cherchons avant tout à préserver notre droit à ne pas être dérangé, alors que les messages et notifications sont de plus en plus présents dans notre environnement. Si cette réappropriation des TIC ne peut être réalisée au niveau organisationnel et social, elle se retranscrit  par des mécanismes de préservation individuels. L’appréhension des pressions engendrées par l’usage des TIC, qu’elles soient professionnelles, sociales ou relatives à la confidentialité, s’accompagnera irrémédiablement d’une maîtrise de plus en plus rigoureuse de ces technologies.


[1] Crawford M. I Forgot My Phone [En ligne]. [s.l.] : [s.n.], 2013. Disponible sur : < http://vimeo.com/73085316 > (consulté le 7 août 2014)

[2] Look Up [En ligne]. [s.l.] : [s.n.], 2014. Disponible sur : < http://www.youtube.com/watch?v=Z7dLU6fk9QY&feature=youtube_gdata_player >

[3] Jauréguiberry F. Déconnexion volontaire aux technologies  de l’information et de la communication [En ligne]. [s.l.] : [s.n.], 2014. Disponible sur : < http://hal.archives-ouvertes.fr/docs/00/92/53/09/PDF/DEVOTIC.pdf >