Cet article fait partie d’une série d’écrits dans le cadre de mon mémoire de fin d’étude sur la déconnexion volontaire aux TIC. Les thématiques abordées ici seront développées dans les billets à venir. N’hésitez pas à me partager vos impressions et à me faire part de votre avis sur cette thématique.

Face à cet essor de la déconnexion, une multitude de tendances émergent de manière à nous faire prendre conscience de l’impact des TIC sur nos comportements.

Sherry Turkle, psychologue et enseignante au MIT défend ainsi le retour à la conversation[1], un thème qu’elle a cherché à développer dans son ouvrage Alone Together[2] Selon elle, les technologies de l’information et notamment les téléphones mobiles ne modifient pas uniquement nos usages, mais ont un impact direct sur nos comportements et notre personnalité. Ainsi, en quelques années, la place du numérique et du mobile est devenue si présente que des usages qui nous auraient semblé improbable il y a peu deviennent monnaie courante : répondre à un email en pleine réunion, connexion aux réseaux sociaux pendant les présentations, voire échange de SMS pendant des funérailles.

La technologie nous permettrait ainsi d’assouvir notre souhait d’être avec les autres, tout en étant poussés par la volonté d’être connectés à tous les endroits où nous pouvons l’être. Nous cherchons ainsi à développer des contacts avec les autres mais en les compartimentant dans des écosystèmes en ligne que nous pouvons contrôler, où nous nous déterminons la manière de nous montrer.

La technologie nous permet selon Sherry Turkle de nettoyer nos rapports de l’anxiété relative à l’image que nous transmettons. Cependant, ce faisant nous serions en passe de sacrifier la conversation au profit d’une simple connexion.[3]

Ainsi, il se développe le sentiment qu’avec les technologies, plus personne ne s’écoute réellement. En contrepartie, les réseaux sociaux, Twitter, Facebook, nous proposent une audience automatique : ces programmes nous donnent l’impression de nous offrir une certaine attention, de se soucier de nous. Nous sommes ainsi venus à en demander plus à la technologie et moins aux autres car ces programmes nous atteignent là où nous sommes vulnérables : ils nous donnent une forme de compagnie sans les exigences de l’amitié.

En parallèle, ces réseaux nous laissent croire que nous pouvons disperser notre attention partout où nous le souhaitons, que nous serons toujours entendus et que nous n’aurons jamais à être seuls. Ainsi disparait le sentiment de solitude, nécessaire à l’introspection car chaque moment de solitude conduit compulsivement à l’usage des technologies de l’information.

Si dans notre usage, cette connexion peut apparaître comme une solution à un sentiment d’anxiété, nous pouvons également l’aborder comme un symptôme. Selon Sherry Turkle, nous serions ainsi rentrés dans des comportements où la connexion nous définit : « je partage donc je suis ». L’utilisation des technologies définirait ce que nous sommes et de ce fait, la non-utilisation de ces technologies ne nous permettrait plus de nous sentir nous-même. Nous nous connectons ainsi de plus en plus, de peur d’être seuls, mais cette même connexion nous conduit vers un comportement solitaire. Le retour à la conversation, au détriment de la connexion semble ainsi être l’échappatoire prôné par Turkle. Il ne s’agit pas ici de se détourner totalement des technologies de l’information et d’adopter une démarche de déconnexion totale, mais de développer une relation plus consciente de ces usages. Cela passe par exemple par la reprise en main de la conversation interpersonnelle à travers la création d’espaces de déconnexion. A la maison ou au travail, ces espaces de déconnexion favoriseraient l’échange et permettraient de redévelopper la conversation. Si nos technologies ont su redéfinir nos connexions humaines, elles doivent désormais être employées de manière à nous ramener vers nos vies réelles.


[1] Turkle S. « The Flight From Conversation ». The New York Times [En ligne]. 21 avril 2012. Disponible sur : < http://www.nytimes.com/2012/04/22/opinion/sunday/the-flight-from-conversation.html >

[2] Turkle S. Alone together: why we expect more from technology and less from each other. New York, Etats-Unis : Basic Books, 2011. xvii+360 p.ISBN : 978-0-465-01021-9.

[3] Connected, but alone? [En ligne]. Long Beach, CA : [s.n.], 2012. Disponible sur : < http://www.ted.com/talks/sherry_turkle_alone_together >